La houle, c’est pas cool !

Première traversée en équipage « normal » pour Méléos. Port de départ : la marina Douro de Porto, destination l’île de Porto Santo, la plus petite des îles de Madère. Nous sommes le mardi 23 septembre et il faut bien un jour franchir le pas. Cette traversée de 5 à 6 jours marquera un point de départ vers l’aventure, la vrai, celle du large, celle des îles, celle de l’atlantique. Bien sur, nous étions déjà en Atlantique, mais les côtes offrent des abris réguliers même si certains peuvent se révéler être piégeux comme nous avons pu le voir à Lexoes. Non, là, point de salut intermédiaire pendant la traversée.

Nous avons décalé notre départ d’une journée afin d’être reposé et bien prêts. Les fichiers meteo ont été téléchargés, l’annexe est pliée et rangée, la survie sanglée, l’avitaillement effectué, le blog à jour, les derniers soucis de terriens enfin réglés, nous pouvons partir l’esprit un peu plus libre. C’est donc vers 11h30 que nous quittons Porto en direction du large Sud-Sud-ouest pour un premier bord nous permettant de toucher un peu de vent. Les voiles établies, nous filons au largue à un rythme tranquille et attrapons nos premiers maquereaux sitôt la traine mise à l’eau. J’ai décidé cette fois d’être sélectif, 2 gros maquereaux maximum pour les papillotes du soir… Ça va un moment de dépiauter du poisson sur le tableau arrière ! Nous aurons un premier maquereau costaud pour 2 personnes, puis une série de petits que nous remettons à l’eau en prenant soin de ne pas trop les torturer. Le dernier gros se fait attendre, mais quand nous le remontons, le sceau, mal fixé à son bout, se fait la malle… Donc manœuvre précipitée du sceau à la mer, à titre d’exercice ! Nous avons toute la toile, nous mettons donc le moteur en route et roulons le génois et tentons de garder le dit sceau en vue. Il nous échappe malheureusement et disparaît dans les profondeurs… Deuxième sceau en l’espace de 2 semaines, à ce rythme là, il va nous falloir un stock …
Le vent monte progressivement, ce que nous cherchions, nous prenons donc deux tours dans le génois, puis dans la soirée un premier ris dans la grand voile, et enfin nous roulons le génois pour mettre en place le foc sur l’étai larguable afin de ne pas nous retrouver surtoilés pendant la nuit. Nous avançons comme une fusée et sommes régulièrement à plus de 7 nœuds, ce qui est raisonnable pour un bateau accusant plus de 14 tonnes sur la balance… La mer commence à se former mais reste maniable. La nuit tombe alors et j’entame le premier quart. RAS, nous filons bon train et à ce rythme, nous ne mettrons que 4 jours à relier Madère… Marine me remplace, le vent monte encore et nous avons souvent des pointes à 30 nœuds. Pas de quoi s’inquiéter, nous ne sommes pas surtoilés. J’effectue le dernier quart, et la mer se gonfle à nouveau. La houle, qui était longue jusqu’alors, se raccourcie et nous dévalons de nuit des vagues de 2m dans des surfs rapides. La nuit écrasant les hauteurs, nous découvrons au premières lueurs que la mer est quand même très formée, le vent monte encore d’un cran, nous avons 35 nœuds régulièrement et prenons donc un deuxième ris dans la grand-voile. Inutile de vous préciser que dans ces conditions, peu de volontaires pour cuisiner, c’est un mode grignotage quand les estomacs le permettent… Les filles s’étaient préparées au mal de mer avec patch, comprimés et autres bracelets anti-nausée, mais là, ça n’empêche pas d’être remué. Eléa sera donc la première à utiliser le sceau (il nous en reste encore trois, Catherine ayant eu l’esprit de nous en prendre d’avance à Vigo). La houle se creuse et les vagues déferlent sur leurs crêtes. Le pilote commence à décrocher dans les surfs et nous partons gentillement au lof deux à trois fois. Je décide donc de barrer pour laisser celui-ci reprendre ses esprits et limiter la décharge sur les batteries, nous négocions mieux les vagues que lui mais notre cap est forcément moins bon. La barre est dure dans ces fins de surfs, Marine me relaie mais nous commençons à être fatigués par cette première nuit quasi blanche (beaucoup de bruits dans le bateau, ça grince, ça cogne, beaucoup n’aimeraient pas ça, je dois vous avouer que nous ne venions pas pour ça, même si nous savons que ça nous arrivera encore). La météo à prévu que le vent faiblisse en milieu d’après midi et nous virons de bord pour aller chercher plus vite cette accalmie vers l’Est. Nous dévalons toujours des murs d’eau et la hauteur entre la crête et le creux des vagues fait facilement 3 mètres. Impressionnant mais pas dangereux. Nous avons remis le pilote en route et il gère très bien. Le vent baisse bien un petit peu mais la houle reste forte, ce qui fait dire à Eléa que « La houle, ça n’est pas cool ! ». La journée du mercredi se passe entièrement sous ces conditions, 20/30 nœuds de vent et une mer formée, l’accalmie se fait attendre mais nous nous motivons en voyant la route parcourue qui est quasiment une route directe sur Madère…

Il nous faut attendre le jeudi pour avoir une réduction significative du vent et donc de la mer qui l’accompagne. Nous nous relayons à la surveillance avec Marine pour enfin dormir confortablement (enfin tout est relatif et rien à voir avec le sommeil à terre…). Eléa et Cléo retrouvent un peu de couleurs et nous arrivons à les occuper un peu, pas question de cned dans ces conditions, nous sommes trop crevés pour assurer le professorat, mais quelques dessins animés et la traine à thon détournent leur attention et espacent la fameuse question : « quand est-ce qu’on arrive à Madère ? ». Nous attrapons ainsi nous deux premiers poissons pélagiques, je tiens même ma première dorade coryphène, elle est magnifique, avec ses couleurs vert-jaune-bleu, mais un peu petite, trop pour être cuisinée et tellement belle, l’équipage est donc unanime : « on la remet à l’eau ! ». Quelques heures plus tard, nous attrapons également une petite bonite, elle aura la même chance. Donc deux enseignements à tirer : Benoit, les rapalas fonctionnent bien, et ces poissons sont des voraces, ils chassent des rapalas qui doivent faire 1/5eme de leur taille… Essayez, vous, de gober un truc qui fait un 1/5eme de votre taille… Quand j’ai vu l’hameçon la première fois, j’ai cru à un croc de boucher… Vivement la vrai coryphène, celle d’un mètre, ça doit être un peu sportif.
Nous décidons en fin de soirée de mettre les voiles en ciseaux et partir cap direct sur Madère. Le vent est tombé et oscille entre 5 et 15 nœuds, largement maniable pour la nuit. Un dernier reste de houle fait battre les voiles et nous fait rouler légèrement, mais le bateau reste à plat et on peut dormir enfin confortablement. Un bon riz-carotte requinque l’équipage.

La nuit de jeudi à vendredi fut très calme, mais nous avançons à 5-6 nœuds. Nous croisons peu de cargos et quelques dauphins. Au petit matin, un hélicoptère a survolé deux fois Méléos … Assez étonnant en pleine mer.. En fait, un navire militaire allemand a croisé notre route, et l’AIS nous indiquait qu’il était en manœuvre … Tout s’explique…
Dans la journée, le vent faibli, au dessus de 10 nœuds, notre moyenne aussi… Pas de succès aujourd’hui avec la traîne.

Le vent tourne un peu pour cette journée de samedi. Nous passons un peu de temps à la table à carte sur Maxsea pour vérifier le meilleur compromis cap/vitesse/ETA (rien de Basque là dedans, il s’agit de l’Estimated Time of Arrival soit l’heure prévisionnelle d’arrivée à destination). Nous ne souhaitons pas avoir à tirer des bords en arrivant à Porto Santo et aimerions arriver avec l’aurore pour manœuvrer dans le port, nous abattons donc légèrement pour rester sous la route. L’ETA oscille toute la journée entre 3 et 5 heure du matin malgré nos deux tours dans le génois pour ralentir… Marine prépare quelques pommes de terre avec une sauce fromage blanc, persil et fleur de sel pour le repas du soir. Nous pensions les accompagner avec ce fameux Patta Negra offert par Daniel et Marylène et qui est divin, mais changement de programme lorsque la traîne nous indique que ça mord enfin. Eléa est la plus affûtée puisqu’elle est toujours la première à nous alerter. Cette fois il s’agit d’une belle petite bonite que nous ne relâcherons pas ! Dix minutes après être sortie de l’eau et débitée en cubes, elle se retrouve a mariner dans du citron et de l’huile d’olive… Magnifique repas, légèrement troublé par deux bateaux de pêche Japonais qui chalutent et qui font route de collision… En dehors du fait qu’ils sont quand même un peu loin de chez eux, est-ce que quelqu’un peu nous expliquer pourquoi, alors que l’on ne croise qu’un a deux bateaux par jour, ils font tous route de collision avec nous ?

A partir de minuit, nous apercevons au loin les lumières de Madère. Le vent ayant la bonne idée d’être constant en force et tournant un peu sur tribord, nous arrivons en vue de Porto Santo sans avoir tiré de bord. Sous le vent de l’île, nous roulons le génois et affalons la grand-voile, rangeons et préparons aussières et défenses pour une arrivée au moteur dans le port. L’aurore se lève lors de ces manœuvres et nous avons une lumière magnifique. Juste avant le port nous distinguons une dizaine de voiliers au mouillage à l’extérieur du port, ça semble très paisible. Nous allons faire un petit tour dans le port qui est protégé par deux grandes digues qui englobent port de commerce, pêche et plaisance, il y a même des corps-morts pour voiliers à l’intérieur de celui-ci. Tout cela semble bien, mais quand même, le mouillage fait l’unanimité, donc retour au moteur au mouillage ! Nous mouillons vers 7h30 par 8m de fond sur un fond de sable, rangeons sommairement le bateau et allons enfin dormir, nous n’avons dormi que 4 heures et laissons donc les filles déjeuner tranquillement et attaquer leurs cours du cned. À notre réveil, nous découvrons un peu plus une baie magnifique avec une longue plage de sable, un environnement très aride et très vallonné, et une pâte à crêpes toute prête …
Le sable est blanc et nous voyons notre ancre posée au fond par 8m. Magnifique.

 

 

Petites informations sur le trajet, nous avons parcouru 654 milles nautiques en 4 jours et 20 heures soit une moyenne de 5,64 Noeuds (soit en gros 10 km/h … forcément dit comme ça, on aurait été plus vite à vélo … oui mais en pédalo..).

 

Route Porto - Porto Santo (on s'est fait un 5102m de profondeur...)

Route Porto – Porto Santo (on s’est fait un 5102m de profondeur…)

Commentaires (16)

  1. Cathy des neiges

    Nous suivons avec passion la progression de Méléos et les aventures de son équipage. Merci pour les photos des poissons, évidemment nous ne les connaissons pas tous. Ici c’est truite, perche ou omble chevalier.
    Madérisez vous avec modération. Bises à vous 4

  2. laurent

    Bonjour à toute la famille, bonne nouvelle, j’ai récupéré la journal. Le courrier de l’ouest du jeudi 2 octobre a diffusé un bel article, avec pour titre: « Le rêve d’un tour de l’Atlantique ». L’article est très intéressant. J’apprends Sébastien que tu as 38 ans. Mais, rassure-toi Marine, ton âge n’est pas indiqué. je vous le réserve.
    Que les vents vous mènent!

  3. Flore

    J’adore votre bureau les filles ! Pas mal pour bosser l’Odyssée 🙂 bises

  4. Adeline

    Eléa, je n’avais aucun doute sur le fait qu’elles soient bonnes vos crêpes, je me suis demandée si vous n’aviez pas rajouter du chocolat en poudre (tient il faudrait que je tente ça!).
    Je compte sur toi pour nous en faire quand on viendra vous voir!
    Bisous

  5. laurent

    Les choses sérieuses commencent pour votre aventure, avec toutes les péripéties écrites avec talent.
    J’avais l’estomac noué en pensant au convoyage entre Morlaix et l’Aber Wrach.
    Bonne continuation à toute la famille.

  6. Adeline

    Eh bien! Que d’aventures dis donc!
    Je suis allée voir ce que ça voulait dire partir au lof sur le net, et je peux vous dire que je n’aurai pas été rassurée.
    Profitez bien de votre escale pour vous reposer!
    Dommage qu’on ne puisse pas voir votre itinéraire sur marinetrafic.

    Ps: c’est quand même bien d’avoir des filles qui cuisinent (même si leur pâte à crêpes a une couleur bizarre!)

    1. Voilier Méléos (Auteur de l'article)

      Ma pâte à crêpes n’a pas du tout une couleur bizarre… C’est juste du sucre roux et de la farine non blanche (T80)… Les crêpes étaient très bonnes …. Signe : Eléa

  7. Sylvie C

    Profitez bien du mouillage, du port, du repos, après ce charivari tumultueux. Bravo pour les récits, photos, on y est, quasi !
    Et c’est quoi, ce blog, je veux dire le produit utilisé pour nous montrer vos aventures ?
    Bises d’automne encore très ensoleillé en Ile de France

  8. Alain

    Pas de doute vous nous faites rêver et même baver !
    S’il te plait, mets nous sur ton blog la recette du riz aux carottes.

    1. Voilier Méléos (Auteur de l'article)

      Recette du riz aux carottes :
      1 – Prendre des bonnes carottes élevées en pleine terre, genre Amap
      2 – Avoir une épouse sympa qui passe un peu de temps pour les préparer et faire des conserves
      3 – Avoir un supermarché qui livre du riz au bateau directement à La Rochelle
      4 – En cas de fringale avec un équipage ayant une tendance au retour express, déclarer qu’un riz carotte ça serait bien
      5 – Comme le skipper n’a pas rangé l’avitaillement, il envoie tendrement son épouse chercher la conserve au fin fond du bateau
      6 – Dans sa grande mansuétude, le skipper accepte de faire cuire du riz et de réchauffer les carottes
      7 – Manger bien chaud et envoyer les filles faire la vaisselle…

      Rien de bien compliqué en somme Alain.

      Sébastien

  9. Laurence Kimmel

    Bravo pour ce récit palpitant… Que d’émotions, de décisions à prendre, de beauté bien méritée (vagues dans la nuit, voilure et tutti quanti…) Et bravo aux filles pour leur courage et leur sens du jeu de mots !

    Signé : la terrienne froussarde

  10. Sosyl

    Nous ne postons pas forcément de commentaire mais nous vous suivons quotidiennement. On attendait ce nouvel article avec impatience pour savoir comment c’était passé votre première grande traversée. Je regardais sur MarineTraffic mais pas de position, personne ne veut relayer votre AIS c’est po gentil …
    Je suis impatient de voir les photos de cette plage où l’on voit le fond par 8 m !
    Bon séjour à Madère et bravo à vous 4 pour votre courage.
    Bises à tous

  11. Steph

    Première lecture pour moi… les enfants sont au lit… j’ai bien fait d’attendre demain pour leur lire votre post… même moi, j’avais des frissons !
    De notre côté aussi, nous avons frôler le drame: un chat est passé à 6 mètres des poules dans le jardin… branle bas de combat, Haelwyn prend un balais et Cyrius attrape un bout de bois au passage et ils se ruent tout les deux à la rescousse des poules… autant vous dire que le chat n’a pas demandé son reste…(d’un autre côté, il ne faisait que passer, le pauvre 🙂 bref… que d’émotions pour nous aussi!!!!!!! Ce qui fait dire à Haelwyn: « comment ça meurt un chat? »…. euh….
    Bon, je vous l’accorde, c’est beaucoup moins exotique comme aventure! Heureusement qu’on a les histoires de Méléos à lire!!
    Prenez soin de vous, profitez de votre mouillage pour vous reposer et pour étudier!
    moi, je vais de ce pas sur le net chercher ce qu’est une bonite!!

    gros bisoux à vous 4!

  12. elie matis

    et bien j’avais l’estomac noué au bout de quelques lignes !!! quel talent d’écrire !!
    faites bien attention à vous.
    nous vous embrassons
    emaf

    ps: il me faudrait un dictionnaire maritime, car j’avoue que certains termes dépassent largement ma culture.

  13. Flore

    J’ai eu mal au cœur rien qu’en lisant 🙂 ici alerte rouge meteo, ça secoue pas mal aussi ! On veut des photos de la baie !!! Bisous

  14. Owczarek Denis

    bravo Vous êtes plus courageux que moi surtout les filles , sur le Karm avec 2m je suis malade et la terre est proche. bises

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